mercredi 30 novembre 2011

Dentelle et Poésie Épisode II



Ma tante Victoire était une grande femme brune au rire facile et communicatif. Mon frère Daniel disait d’elle qu’elle était moderne.
On l’avait envoyé dans son foyer pendant les vacances car il était turbulent et très indiscipliné. La rigueur ouvrière adoucirait peut-être son caractère pensait mon père car Daniel ne rêvait que plaies et bosses. Il était le chef d’une bande qui faisait régner la terreur parmi des garçons qui fréquentaient l’école privée. Un jour, il faillit mettre le feu au patronage afin de punir le vicaire et ceux qu’il considérait, avec sa bande fréquentant l’école laïque, comme des ennemis. « La guerre des boutons » avant l’heure !
Oncle Maurice fit le maximum pour assouplir le comportement de mon frère mais ce fut en vain. Il revint chez nous avec l’estampille de « garnement » pour la grande douleur de ma mère qui l’idolâtrait.
Tante Victoire et Oncle Maurice étaient ouvriers tullistes. Ma tante travaillait vite et bien. Elle avait le geste sûr. Lorsque son patron voulait augmenter les cadences, il minutait ma tante et se basait sur son temps, en le réduisant un peu pour faire bonne mesure car toutes les ouvrières n’avaient pas sa force. C’est pourtant elle, cette incarnation de la puissance ouvrière qui mourut la première, après son mari néanmoins, devenu cardiaque en fin de parcours à l’usine. Il avait été récompensé pour sa fidélité envers le patron par une nomination de contremaître. Or ce grade accentua sa maladie. Je le revois, vieilli, en tenue d’ouvrier, revenir à la maison d’un pas lourd. « Ce qui me fatigue, c’est les gamins ! » disait-il en souriant de manière résignée. Les gamins c’étaient naturellement les jeunes ouvriers, moins souples que leurs aînés et plus revendicatifs. Les temps avaient changé !
Ma grand-mère était une petite femme, très vive, avec des joues rouges comme des pommes d’api. Je ne savais pas, alors que j’admirais ses joues, qu’elle souffrait de couperose. Je la trouvais jolie avec ses cheveux gris relevés en chignon et son tablier de satinette. Elle réussissait à merveille le coq au vin, n’aimait guère le ménage. Lorsque ses enfants pratiquaient des rangements, elle demandait : « Quelqu’un doit-il venir ? » car elle aimait lire, rêver et chanter. Elle aimait citer un proverbe pour donner de l’espoir à ma mère qui déplorait sa petite taille : « Tout ce qui est petit est gentil, tout ce qui est grand est charmant ! » Ainsi elle ne fâchait personne, surtout pas sa fille aînée qui avait hérité de son père une haute taille et un air altier. Dans son enfance, grand-mère avait eu le malheur de perdre ses parents. Placée dans un orphelinat, elle dut subir l’injustice réservée à la petite fille pauvre.
Alors qu’elle avait emporté toutes les premières places, elle eut la désagréable surprise, le jour de la distribution des prix, de voir monter sur l’estrade la fille d’un riche fermier qui dotait l’école de produits laitiers et volaillers. Le nom de Marie Haury qui était celui de ma grand-mère ne fut même pas mentionné.
À l’adolescence, elle dut lutter pour ne pas être placée, comme sa sœur, dans une ferme. Léontine était très jolie mais on lui fit porter de lourdes charges et elle se courba jusqu’à devenir légèrement bossue. Grand-mère fut envoyée à Paris dans une famille bourgeoise pour y servir au titre de femme de chambre. Elle y resta jusqu’à son mariage mis en œuvre par son frère pour que la fratrie soit regroupée dans le petit village du Nord de la France, près de la ville de Caudry où les hommes de bonne volonté trouvaient du travail.
Grand-père fut présenté comme un honnête homme, travailleur et fidèle en amitié. C’était une sorte de géant. Il était très grand et très brun. De fait, il était très imposant. Je crois qu’il aima sincèrement Grand-mère mais j’appris, après sa mort, qu’il avait été un mari jaloux, parfois violent et qu’il souffrait apparemment d’un complexe d’infériorité vis-à-vis de sa femme. Grand-mère fit pourtant des efforts pour rester à la place de femme soumise qui lui était proposée. Elle parlait le patois alors qu’elle était très lettrée, accepta de donner les jolis corsages qui faisaient partie de sa dot, gagnée par son travail parisien. Grand-père avait exigé qu’elle s’en sépare car ainsi vêtue, elle était trop belle et pouvait attirer les galants. Grand-mère participa aux concours du village et gagna un grand prix, ce dont grand-père fut très fier. Ce n’était pas une joute littéraire, non c’était le prix de la meilleure commère autour d’une tasse de café. Les concurrentes étaient assises et tenaient une tasse de café brûlant qu’elles devaient boire à la mode du pays. Dans le Nord, on boit le café à la croquette. C’est-à-dire que l’on tient tasse et sous-tasse de la main gauche et le sucre de la main droite. Buvant le café à petites gorgées en croquant un peu de sucre, les commères s’épiaient du coin de l’œil car elles devaient aussi tenir une conversation. Grand-mère sprinta et but la dernière goutte sur le fil ! Ce fut son auréole dans le village, ce qui dut la faire rire intérieurement tant elle était modeste et sage.

                        à suivre … épisode III

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire