vendredi 21 décembre 2012

Le Goéland




« Le soleil éclate en pivoines d’argent dans l’eau pure du miroir aux fées. L’ondine tresse des couronnes blanches et se love dans un rayon miel.
Des nénuphars émane une musique qui charme un ange caché dans un nuage au large d’Avalon.
Le rose de sa robe est si délicat qu’aucun peintre au monde ne pourrait le fixer sur une toile. Seule la dame du lac y parviendra.
Ce tableau, je l’ai vu, dans un rêve, je crois.
L’ange cherche en vain son double séraphique sur le bleu de la toile. Cet autre moi erre au royaume d’Avalon, en un endroit où terre et eau se confondent, s’illusionnent mutuellement pour créer un tissu féerique où la vie s’irradie, turquoise ou iroise, au son de la harpe du vent.
D’invisibles violons offrent une brisure sacrée à cette terre prête à basculer dans le néant.
La dame du lac déploie ses longs cheveux. Leur blondeur scandinave ou vénitienne frappe le miroir d’un or ancien. Son double, une nymphe aux cheveux bruns s’évanouit dans la brume. Elle seule créera le reflet lumineux de sa chevelure. C’est encore elle que je vois dans la bulle bleutée d’une eau si claire qu’elle en devient aérienne, montgolfière azurée où dérive l’enfance.
Toi qui es résurgence de source, reviens à la vie. Cours dans les champs de blé, tresse des couronnes de bleuets, sois propice aux moissons ! ».
Après cette invocation à l’antique, Cyril s’allongea sur l’herbe, rêvant encore à cette ondine si pure, si lointaine. Le regard vert l’avait cloué au sol puis les mots fous s’étaient heurtés dans sa tête avec une telle rapidité et un tel éclat qu’il s’était cru emporté par le délire.
Quelques heures plus tard, il se trouvait devant son chevalet, fixant la mouvance bleue de cette apparition.
Avec du recul, il n’osait croire à la réalité de sa toile : « elle » était là, vivante, prête à se détacher ainsi qu’une voile s’approche du rivage. Un papillon diaphane se fondait en un rose mousseux dont on imaginait la fragrance. La somptueuse robe de cour brodée de perles en forme de nénuphars ancrés sur la trame turquoise par de minuscules bouquets d’or jetait une note vénitienne, accentuant ainsi la clarté du regard et la délicatesse du visage.
Une souffrance folle s’empara de lui : serait-elle la propriété d’un esthète ?
Il saisit un miroir et se vit tel qu’il était : élancé, plutôt brun, des paillettes d’or dans ses yeux couleur jade …
Puis leurs reflets tendirent à se mêler. Un peu de sa blondeur féerique et il pénétrerait dans ce royaume enchanté où elle vivait, s’échappant du chevalet où il avait tenté de l’emprisonner.
Soudain, sa présence devint musique. Cyril ferma les yeux, ébloui par une immense clarté qui inondait son atelier. Une pluie de roses nouées de perles joncha le sol ; une petite main gantée de soie se glissa dans la sienne, douce, chaleureuse.
C’est alors que Cyril fit, à son insu, une apparition sur la toile sous la forme d’un goéland.

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