samedi 26 janvier 2013

L’expédition de Narcisse




Caché dans un rosier buisson, Narcisse, chat persan adoré par la petite Léa, guettait un oiseau pour se faire les griffes. On se moquait tant de lui à la maison ! C’était une peluche, un chat juste bon pour remplacer une poupée ! Léa l’empoignait triomphalement et le jetait sur le tapis, histoire de lui montrer qu’elle était la plus forte ! Et il l’aimait tant qu’il n’osait pas se servir de ses griffes à son encontre. Il se contentait de remuer la queue et les oreilles en signe de mécontentement. Cela n’impressionnait nullement Léa qui éclatait de rire.
C’est pourquoi, la mort dans l’âme, il se résolut à sauter dans l’inconnu. Il écouta avec délices les appels angoissés de toute la famille. Mais la petite voix claire de Léa lui hérissait le poil et l’incitait à persévérer. La vue d’un rouge gorge le réjouit. Il s’apprêtait à le blesser mais une petite voix stoppa son élan.
« Narcisse, je suis ton ami. Épargne moi et je te donnerai les moyens de revenir en vainqueur chez toi ». Se demandant si le bel oiseau ne cherchait pas à gagner du temps pour mieux le duper, Narcisse hésitait. Cependant la perspective d’un retour triomphal le séduisit. Voulant en savoir plus, il réclama des indices mais l’oiseau resta ferme. Qu’il le suive à distance respectable et il serait récompensé.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Narcisse abandonna son abri odorant et suivit l’oiseau qui l’entraîna dans un endroit boisé, à l’écart du hameau familial. S’il s’est moqué de moi, je pourrai toujours croquer la chair succulente d’un ortolan ou gober quelques œufs pensa Narcisse. Il chassait les idées noires et de plus, il était trop tard pour reculer. Ses coussinets étaient irrités car il n’avait pas l’habitude de fouler un sol naturel. C’était un chat d’appartement ! Maudissant la famille qui l’avait maintenu dans cette servitude, il reconnaissait cependant que la vie était facile à la maison. Des croquettes vitaminées et de l’eau fraîche étaient toujours à sa disposition. Dans cet environnement ingrat, l’eau avait un goût de tourbe et son ventre commençait à lancer des signaux alarmants.
Cependant il n’eut pas le loisir de nourrir des regrets car son guide s’arrêta enfin auprès d’une buse qui conduisait, selon ses dires, de l’autre côté du ruisseau. « La fortune est là ! » lui dit l’oiseau. « Si tu veux revenir en héros, il te suffit d’avoir un peu de courage » ajouta-t-il. Ces paroles servirent d’aiguillon à notre chat en mal de reconnaissance. Il pénétra bravement dans le conduit obscur. Bien lui en prit car soudain un joli tas de pièces d’or s’offrit à son regard.
Il ne pouvait pas s’emparer de toutes les pièces mais il mit à profit le collier d’identité dont il était pourvu. Il y attacha quelques louis et s’en revint le plus vite possible, miaulant avec insistance sur le paillasson, une fresque de moquette à son image. La maîtresse de maison le serra sur son cœur et lorsqu’elle découvrit les pièces d’or, elle fut aux anges. Elle avait des loyers de retard et le propriétaire menaçait de l’expulser. Ce trésor venait à point nommé !
Narcisse fut fêté. On interdit à Léa de le manipuler comme un objet et un beau bol de croquettes lui fut servi.
Quelques jours plus tard, Narcisse insista pour que sa maîtresse l’accompagne jusqu’au trésor. Ariane finit par céder et tous deux se rendirent au bord du ruisseau, discrètement escortés par le rouge gorge. La providence voulut qu’il y ait sur place une épuisette.
Ariane s’en empara et lui impulsa un mouvement. Il fallut trois opérations pour que le trésor apparaisse enfin dans toute sa splendeur.
Émerveillée, Ariane serra Narcisse sur son cœur et rangea les pièces dans un petit sac qu’elle portait toujours autour du cou.
Rubis, le rouge gorge porte bonheur, décrivit une arabesque dans le ciel et ne fut qu’un point à l’horizon.
Narcisse calé contre sa poitrine, Ariane revint à la maison. Il ne lui avait pas échappé que les coussinets de son chat d’amour avaient été endommagés par les pierres du chemin. Il ne lui en fut que plus précieux et plus héroïque.
Le propriétaire redevint aimable à la réception des loyers en souffrance mais Ariane l’avertit qu’elle avait décidé d’acheter une maison où elle serait plus à l’aise pour écrire ses contes. « Vous avez toujours cru que mes livres étaient un investissement à perte, eh bien vous avez tort puisqu’un éditeur de renom s’y intéresse ! »
Ariane n’était pas mécontente de donner une petite leçon à ce propriétaire qui l’avait menacée d’expulsion. Bien plus, il s’était moqué d’elle lorsqu’elle lui avait montré les ouvrages dont elle espérait une bonne vente. Il était parti en ajoutant à son rire tonitruant et méprisant un conseil perfide. « Pour commencer, débarrassez-vous de votre chat qui ne vous rapporte strictement rien et vous coûte cher ». Ulcérée par tant de méchanceté, Ariane avait pleuré ce soir-là, Narcisse constituant son unique réconfort.
Elle fut heureuse de tourner la page sombre de sa vie et emménagea bientôt dans une pimpante maison. Un jardin avec une pièce d’eau et une charmille fut la récompense de Narcisse lors des beaux jours.
Quant à Rubis, il vint rendre visite à son ami et paracheva l’éducation de la petite Léa, une enfant confiée à Ariane, nourrice agrée et écrivain à ses heures perdues : chaque fois qu’elle manipulait Narcisse comme une vulgaire peluche, Rubis lui donnait un petit coup de bec sur le doigt.
Au bout de quelques semaines, Léa comprit le message et devint avec Rubis l’amie la plus fidèle de Narcisse, amour de chat pour tous !

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