mercredi 6 février 2013

La princesse aux doigts de roses




Dans un royaume embaumé par les roses, la reine se désespérait de ne pas avoir d'enfant. Déçue, elle se promenait des heures durant dans la roseraie, respirant le parfum des roses et leur donnant des noms d'enfants. Ses dames d'atour essayaient de la mettre en garde contre la colère du roi. Il se murmurait que cet époux désappointé songeait à exiler la reine dans une zone désertique du royaume, avec le secret espoir qu'elle y meure. Ensuite, il lui suffirait de mener un deuil décent et d’envoyer chercher une future épouse aux quatre coins du monde en prenant des garanties.
Ignorant ces sombres desseins, Rosemonde, la reine si bien nommée, se promenait en rêvant. Les nuages lui offraient également un réconfort. Elle croyait y voir une petite fille jouant au cerceau et à la poupée puis un garçonnet au sabre de bois.
Son époux se montrait toujours empressé et démonstratif. Elle était si belle que sa fureur s’éclipsait une fois la nuit venue.
Enfin leurs efforts conjugués aboutirent à une heureuse nouvelle : la reine attendait un enfant.
Rien ne fut oublié pour que ce cadeau du ciel soit le garant du royaume.
Un berceau sculpté, des jouets et un mobilier adapté furent conçus par les meilleurs ouvriers du royaume. Les couturières s’activèrent pour que les tissus de soie et de coton, les duvets et les coussins soient de belle facture et réjouissent l’œil.
La reine et ses suivantes conçurent un magnifique trousseau pour l’enfant, de la layette tricotée, des vêtements brodés et une literie ouvragée. Tout était si beau ! L’enfant n’avait plus qu’à se montrer ! Lors de sa naissance, chacun attendait de voir apparaître le petit minois et lorsque la petite fille fut montrée à ses parents et à la cour, des cris d’admiration et d’amour fusèrent. Elle était si belle que les astres s’en trouvaient éclipsés. Cependant un détail frappa l’assistance : ses doigts étaient une tige agrémentée de petites roses. La princesse avait des doigts de rose ! Certes c’était beau et poétique mais n’aurait-elle pas quelques difficultés pour saisir des objets, écrire et accomplir toutes sortes de tâches ? Le médecin consulté ne trouva pas de réponse. Gêné, il se contenta de dire que ce n’était peut-être qu’une particularité due au stress et qu’elle pourrait disparaître à force de soins.
Le roi voulut lui faire préciser sa pensée mais il préféra rester évasif plutôt que de dire que ce problème était du ressort d’un bon jardinier.
Le roi passa de la joie au désespoir et se retira dans ses appartements privés, refusant même de participer au choix d’un prénom pour l’enfant.
Il évita toute rencontre avec la reine et ses conseillers évitèrent de prononcer son nom.
Au bout d’une quinzaine de jours, le roi revint à la raison et décida de regarder le problème en face en abordant le sujet épineux avec la reine. Il fallait d’ailleurs donner un prénom à la petite princesse.
Tout en marchant, le roi se remémorait sa beauté et se sentait envahi par une tendresse paternelle qui lui gonflait la poitrine.
Quel ne fut donc son désespoir lorsqu’il découvrit que les appartements de la reine étaient vides ! Rosemonde était partie avec toute sa suite, emportant l’enfant.
Fou de douleur, le roi Magnus hurla des ordres, demandant à sa fidèle garde personnelle de lui ramener les fugitives. Mais ces dernières demeurèrent introuvables. De plus, un vent de sable s’éleva du désert emplissant le ciel d’une poudre ocre. Ces vents calamiteux firent périr les roses, de sorte que le roi eut l’impression de connaître un deuil aggravé.
Ses conseillers décidèrent de passer à l’action. La fuite inexpliquée de la reine créait un vide juridique, annulant le mariage. Ils proclamèrent cette évidence en se relayant auprès de leur souverain qui finit par leur accorder de l’intérêt. Il allait pouvoir se marier avec tout le faste d’épousailles royales, la reine et sa malheureuse enfant étant tombées dans l’oubli des archives royales. On effaça toute trace de leur passage et le prénom de Rosemonde fut désormais interdit. Les prénoms donnés antérieurement furent remplacés par celui d’Aimée.
Puis les relations diplomatiques battirent leur plein. Des émissaires se rendirent dans les royaumes voisins pour en ramener la perle rare, la jolie princesse qui donnerait de beaux enfants pour la stabilité du royaume.
Le roi restait de marbre en regardant les portraits des plus belles femmes présentées. Tout le monde commençait à désespérer mais un jour, un voilier jeta l’ancre dans la baie la plus proche du palais. Une jeune femme à la beauté saisissante escortée par une ambassade richement vêtue se présenta dans la salle de réception des appartements royaux.
Sur un signe du roi, après les présentations d’usage et l’offre de cadeaux somptueux, chacun se retira dans une aile du palais réservée aux festivités.
Après cet entretien privé, le roi apparut rayonnant et le rose aux joues. Personne ne fut étonné d’entendre la proclamation des fiançailles du roi avec la princesse Soraya, venue d’un pays lointain où abondaient les mines d’or et les ressources agricoles et artisanales. La preuve en avait été donnée par les cadeaux prestigieux offerts au roi. Des tissus lamés or, une cascade de perles et de turquoises, des objets en maroquin, des coussins sans compter une pyramide de lingots d’or témoignaient de la richesse du pays incarné par cette femme à la beauté inouïe.
Concernant les richesses agricoles du pays d’Éléonore, ainsi se nommait la jeune beauté, on en eut un aperçu grâce à une cargaison acheminée par une caravane : dattes, fruits, inconnus dans le royaume, sacs d’une farine fleurant bon le blé, et en plus petites quantités de la fleur de maïs et de riz, semences et germes protégés par des ballotins de glace, tout cela fut exploré et ensaché dans les hangars du palais, prêt à l’emploi.
Des gâteaux fourrés aux dattes furent servis le jour des fiançailles et le roi promit à son aimée de faire venir des orangers et des citronniers pour orner le parc où avait sévi la tempête de sable.
Plus personne n’osa parler de rosiers tant ces fleurs semblaient appartenir à un passé révolu. Le couple apprit à se connaître. Le roi était captivé par la beauté de sa compagne et il tendit également à apprécier ses talents. Elle brodait à merveille, chantait de même, peignait des toiles avec infiniment de précision et d’harmonie dans le choix des coloris.
La jeune princesse, par contre, ne semblait pas éprouver une folle passion pour son futur mari. Son regard se portait parfois au-delà de l’horizon, en direction de la mer. Elle accepta néanmoins les épousailles sans protester ni émettre la moindre réserve.
Le mariage réunit les notables du royaume et ceux du pays de la princesse. On se fit des cadeaux. Lorsque Soraya apparut dans une robe des Mille et une Nuits, tous eurent le souffle coupé. Le roi qui avait soigné sa mise, ne lésinant ni sur les dentelles ni sur les parures sembla presque démuni en regard de l’épousée.
Les finances du royaume avaient été mises à mal pour que la fête ait un éclat hors du commun. Cependant il y eut quelques murmures dans le peuple. On disait que la reine Rosemonde aimait ses sujets et qu’elle s’intéressait à leur vie. Dès qu’elle apprenait la souffrance d’une famille, elle dépêchait ses dames d’atour pour connaître les besoins du foyer et y pourvoyait. Bien mieux, elle rendait visite à ces pauvres gens, offrant son sourire et son amitié qu’elle concrétisait sous la forme d’un cadeau original et adapté. Un enfant était-il malade ? En plus des soins prodigués par son médecin personnel, la reine offrait des vêtements de fête, des pâtisseries et des jouets. Un homme avait-il perdu son épouse et la mère de ses enfants ? Elle diligentait une escouade de serviteurs et de nurses pour remédier à l’absence de la maîtresse de maison. Quant à l’homme, on respectait son chagrin mais il recevait quelques discrètes invitations pour des réunions d’hommes dans une situation similaire.
Ils pouvaient ainsi s’épancher et mettre en commun leurs peines. Les exemples de ses bonnes œuvres étaient si nombreux que l’on aurait pu écrire un livre sur ce sujet.
Chacun pensa que la reine Soraya agirait avec douceur mais au fil du temps, elle apparut de plus en plus lointaine. Elle parlait peu, faisait de longues promenades à cheval et nageait en mer avec la force d’une sirène. De plus, on attendit en vain l’annonce d’une maternité. Le roi n’eut guère le loisir d’approfondir ce sujet douloureux car brusquement les cieux s’obscurcirent pour le royaume. Quelques états voisins dont on se croyait amis déclarèrent la guerre sous des prétextes étranges ; on prétendait même que la reine était une sorcière et que certains l’avaient vu nager comme un véritable poisson : elle avait une queue ! Une sirène, c’était une sirène et tout le monde savait à quel point cet être étrange pouvait être dangereux.
Bien plus ! Un soir de tempête en mer, un pêcheur l’aperçut sur un récif, une lyre à la main, chantant pour attirer les hommes dans ses filets. Sa longue queue argentée se déployait comme une traîne et des petits monstres marins jouaient dans les retombées acrobatiques de l’accessoire fabuleux.
Par chance, le pêcheur était sourd, ce qui l’empêcha d’obéir au chant mortel en se précipitant sur les rochers destructeurs.
Le roi balaya cette fable d’un revers de la main mais il n’osa pas punir le pêcheur, craignant la réprobation de son entourage. Bien lui en prit car une armada de navires alliés s’étant profilés à l’horizon pour l’aider à détruire ses ennemis, une tempête se produisit et de nombreux témoins affirmèrent qu’une sirène se déplaçait d’un point à l’autre pour que les navires se fracassent les uns contre les autres.
Le roi voulut faire taire ces rumeurs en réclamant à la reine d’honorer de sa présence le conseil de guerre. Mais le chambellan dut reconnaître que la reine n’était présente ni dans ses appartements ni dans les jardins royaux. On passa le palais au peigne fin mais on ne trouva rien, si ce n’est une preuve supplémentaire des métamorphoses de l’épouse royale. L’un de ses tableaux représentait une sirène, les cheveux dénoués et une lyre à la main avec une impressionnante queue dont la forme évoquait les courbes d’une baleine. Son visage était expressif : il s’agissait bien d’un monstre maléfique car son sourire était d’une insoutenable cruauté.
« Rosemonde, pardonnez-moi ! » murmura le roi en tombant à genoux, conscient de son inqualifiable conduite vis-à-vis de la femme qui était tout amour.
Une voix douce lui répondit « C’est déjà fait, mon ami ! Relevez-vous, je vous en prie. Il ne me plaît guère que vous vous sentiez ainsi coupable ! » La reine Rosemonde était face à lui et elle tenait par la main une ravissante petite fille. « Aimée, embrassez votre père ! » dit la reine en souriant et l’enfant se précipita dans les bras du roi qui put constater, au passage, que les doigts de l’enfant étaient parfaitement normaux. « Mais quel est ce prodige ? » balbutia-t-il tout en embrassant la délicieuse enfant. « La fée des roses, ma marraine, a eu l’idée de cette métamorphose de naissance pour mettre votre amour à l’épreuve et je dois dire qu’elle a malheureusement révélé une faille dans notre couple. Mais désormais nous n’en parlerons plus si vous le voulez bien et j’espère vous donner bientôt un beau petit prince destiné à vous succéder ».
Ému, le roi embrassa son épouse et à cet instant, la tempête disparut, les guerriers rebelles rentrèrent dans leurs pays et la sirène plongea, libérant les marins qui rejoignirent le rivage en empruntant les canots de sauvetage.
Dans les jardins, les rosiers embaumèrent à nouveau comme si rien ne s’était passé et la petite Aimée, suivie par sa nurse, se précipita dans les allées, plongeant son visage dans le cœur des roses anciennes. Comme par magie, tout ce qui rappelait la reine sirène disparut et le couple vécut une nouvelle lune de miel.
Les juristes du royaume déclarèrent le précédent mariage annulé et le peuple en liesse fêta la souveraine en multipliant les cadeaux, pièces brodées, jouets de bois sculpté pour la petite princesse et pâtisseries somptueuses.
La reine accepta ces dons et constitua une réserve de pièces d’or pour les mariages et baptêmes à venir.
Enfin, chacun attendit, le cœur battant, la venue d’un petit prince et il arriva un jour de Mai.
Aucune singularité ne fut notée et le petit prince reçut le beau prénom de Chérubin. Les anges semblèrent voler autour de son berceau et la petite princesse parsema son drap de lit de pétales de roses, marquant ainsi leur appartenance au plus beau des royaumes.

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