vendredi 25 juillet 2014

La chanson du chevalier





Ma reine, ma douce, mon aimée, je souffre mille morts à l’idée de vous quitter mais il y va de la sûreté du royaume.
Je dois partir sans me retourner sur mon fidèle destrier. Le seigneur se doit de donner l’exemple et ne pas verser la moindre larme devant son écuyer et sa troupe aguerris à tous les combats.
Jurez-moi que vous m’attendrez car, sur ma vie, si je reviens vivant de votre croisade et que j’apprends que vous êtes à un autre, je ne survivrai pas à cette douleur et à ce déshonneur.
Ayant ainsi parlé, le comte de Saint Leu s’en fut, sans un regard pour ma mie. Elle réprima un cri puis quitta les remparts du château, décidée à survivre pour le retour de son aimé et s’employa désormais à conserver sa beauté.
Le benjoin, le lait d’ânesse, l’eau de rose et mille onguents de la reine de Saba furent sa principale recherche.
Afin d’étoffer sa chevelure, elle fit couper les plus belles tresses de paysannes pour en orner sa tête.
De temps à autre, un message lui parvenait mais au fil des années il lui sembla que les mots d’amour fou faisaient place à des expressions convenues puis vinrent de simples notes concernant la gestion du domaine.
Enfin le jour tant espéré arriva. Le comte revint avec quelques blessures qui semblaient anodines mais la belle Enguerrande qui était apparue dans ses plus beaux atours attendit en vain d’être appelée dans la couche de son seigneur.
Pire encore, le comte qui n’avait jamais prêté attention à une autre femme que la sienne, se livra à des orgies barbares avec la domesticité du château.
Comme cette guerre qui devait être d’ordre spirituel l’a changé ! pensa Enguerrande avec amertume.
Alors elle revêtit un costume de paysanne et s’en fut par une porte dérobée dans la campagne.
Elle n’avait pris que quelques pièces d’or et sa croix occitane.
Elle se réfugia dans une chaumière et passa des jours heureux en se nourrissant d’œufs, de cresson et de tourtes farcies d’oiseaux qu’elle piégeait pour se nourrir.
Elle fut connue de tous. On venait la consulter car chacun connaissait son histoire, et on pouvait se fier à son expérience sur l’amour.
Le comte mourut quelques mois plus tard car son âme était restée dans cet orient fabuleux qui lui avait volé jusqu’au souvenir de sa dame.
Parfois on entend gémir le vent dans les grands chênes et les buissons de houx.
Chacun se signe pour que son seigneur trouve enfin la paix après avoir tant guerroyé !

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