lundi 1 septembre 2014

Monologue d’un sommelier oriental





Rigolez pas les gars, vous avez devant vous un diplômé ! BEP, Bac Pro, Restauration et quelques mentions complémentaires pour avoir plusieurs cordes à son arc. Oui, je sais, c’est bizarre quand on s’appelle Karim et qu’on vient de la banlieue. C’est ce que me faisait remarquer mon dernier patron. Nous portons tous un badge avec notre prénom. Le patron trouvait que Karim, ça ne faisait pas sérieux pour un maître d’hôtel. Je lui ai rétorqué : Vous préférez Zinedine, ou Zizou, ou pourquoi pas Rachid, comme l’ex présentateur de la télé ? Il m’a lancé un regard noir et n’a plus rien dit. Pour l’augmentation, j’attendrai. Alors j’ai seulement demandé qu’on écrive K sur mon badge. Comme ça, y aura pas d’histoire ! Pourquoi la restauration plutôt que le foot, la boxe, le rap, le cinéma, la chanson ou le commerce ? J’ai des copains polytechniciens soit dit en passant …
Alors pourquoi ? C’est tout simple. J’ai fini par hurler à la conseillère en orientation qui voulait absolument savoir ce que j’aimais : Manger !! Un peu plus, je lui crevais le tympan. C’est comme ça que je me suis retrouvé en lycée professionnel hôtelier. Un arabe à qui on ordonne d’avoir toujours sa mallette de couteaux sur soi, ça mérite d’être signalé. Je craignais pour les contrôles dans le métro. Outrage à agent ou quelque chose de pire mais on m’a fichu la paix : avec mon costume et ma cravate, tenue de rigueur au lycée, j’avais franchi la ligne.
Quand papa a su ce que je faisais, il a grincé des dents et n’a rien dit. Chez nous, autrefois, c’étaient les femmes qui cuisinaient. Aujourd’hui il m’a dit Fils, tu es diplômé, c’est bien. Moi, je ne suis qu’un 01 / 01 alors je ne peux pas te critiquer mais quand on va au pays, fais-moi plaisir, dis que tu es plombier. C’est pour l’honneur de la famille, tu comprends ?
Pour les réconcilier avec mon métier, je leur ai concocté un menu gastronomique français mais là encore j’ai échoué. Maman m’a félicité mais papa a prétendu qu’une femme au pays, qui présenterait un tel repas à son mari courrait le risque d’être immédiatement répudiée !
Découragé, je me suis demandé si je ne ferais pas mieux de me tourner vers la tauromachie. Vous êtes étonné ? Un arlésien d’ascendance algérienne est un torero réputé. Il paraît même qu’il adresse une prière à la Vierge Marie comme les autres avant le combat. Quitte à choquer, autant y aller carrément ! Mais je ne me sens pas le courage d’affronter des cornes. La muleta, très peu pour moi. Je préfère le liteau du sommelier. C’est moins dangereux de surveiller une goutte de vin capricieux qu’un animal sauvage en furie.
J’entends d’ici les racistes. Dégonflé, va ! Dégonflé toi-même. Y a des risques dans notre métier. Il suffit de lire quelques propositions d’embauche.
Le directeur d’une certaine auberge étoilée cherchait dernièrement un maître d’hôtel bien rémunéré etc…La mention « fumiste, ou psychorigide s’abstenir » m’a déconcerté – fumiste, bien, mais psychorigide ? Qu’est-ce qu’il demande à son maître d’hôtel ? Qu’il arrive en salle comme un funambule sur un fil, une bouteille de champagne à la main qu’il ouvrirait au sabre ?
Et je ne vous parle pas des places que l’on essaie de décrocher par des entretiens ! On nous pose des questions étranges, par exemple on vous demande si vous êtes supporter du club de football de la ville, si vous avez déjà un studio ou si vous avez une préférence pour un vin ! Pourtant le recruteur sait qu’il n’est pas judicieux d’établir un contrat ferme pour un loyer étant donné qu’il y a toujours une période d’essai.
Quant au vin, le client est Roi, tout le monde sait cela. Je peux juste donner mon avis si on le sollicite pour un accord mets-vins.
De plus aujourd’hui, le vin est presque banni des tables et la préférence au verre est la norme.
J’ai eu un fou rire en voyant le film Chez Septime avec Louis de Funès et sa danse des serveurs. C’est à peine excessif tant certains directeurs de salle exigent souplesse, subtilité et sourires de leur personnel. Sourire quand on a des ampoules aux pieds, courber l’échine lorsque vous êtes gêné par un méchant lumbago, se montrer subtil quand un client retors essaie de vous piéger, c’est parfois une performance d’acteur.
Mais voilà, c’est le métier !
Alors mes amis, ne riez pas de notre métier et appréciez les efforts que nous produisons pour vous plaire et ne nous obligez pas à partir en Angleterre ou aux USA, dans un pays où l’on ne remarquera pas notre peau dorée car moi, en tout cas, j’aime la France !

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