samedi 22 novembre 2014

La Reine combattante





Si l’on m’avait dit que je devrais à nouveau porter la cuirasse de ma jeunesse pour chasser l’ennemi infiltré dans notre royaume, je ne l’aurais pas cru.
Mais hélas ! les vents mauvais poussent dans nos villes, nos villages et nos forêts des miasmes porteurs des germes de la guerre et nous voici, comme au temps des croisades, en partance vers la reconquête d’un idéal perdu, celui de nos rêves cristallisés dans un semis de roses.
Pour mettre toutes les chances de son côté, la reine combattante fait un pèlerinage à la forêt de Brocéliande où l’esprit des chevaliers flotte dans la brume nocturne. Elle plonge son bouclier dans le miroir aux fées et la fontaine de Barenton, se dirige ensuite vers le château de Ponthus qui, uniquement pour elle, renaît de ses pierres éparses auprès du vieux hêtre, l’âme de la forêt. Elle demande au maître forgeron qui vit dans les dépendances du château d’enduire son bouclier d’une pellicule magique à base de pétales de roses d’orient et d’une glace en provenance de Russie, près du lac Baïkal.
Ainsi enduit, son bouclier reflètera l’âme de l’ennemi et les mauvais génies qui se nichent dans les replis de barbes à l’imitation des écorcheurs d’un peuple ancien adorateur des forces telluriques tomberont comme autant de serpents et de dragons dont il suffira de trancher la tête pour s’en débarrasser à tout jamais.
La reine accepte ensuite l’invitation du chevalier de Ponthus, à l’armure noire comme le jais.
Ils devisent aimablement autour d’une ronde de tourtes variées, de préparations gélifiées et de quenelles rondes cuites au bouillon.
Puis un intermède musical s’offre à eux, chants de Gérard Lomenech et harpe celtique de Nolwenn.
Ce moment de grâce passé, les desserts arrivent, portés par de jolies jeunes filles en toilettes bretonnes, des ananas surprise d’où s’échappent grains de grenades et dés de mangues avec une farandole d’amandes ou caramélisés au sucre roux.
Des hanaps de cervoise circulent à la ronde car de nombreux jeunes gens, les futurs chevaliers de la reine se sont joints à leur seigneur. Des jeunes filles de haut lignage sont également présentes à ces festivités et c’est pour elles que l’on sert en carafes des boissons aux mures, aux framboises et à l’orgeat.
La soirée se termine en un bal de bonne tenue au son des binious et de la cornemuse.
La nuit fut excellente pour la reine et les habitants du château.
Son séjour se prolongea jusqu’à ce que le maître de forge ait terminé l’ouvrage. Le bouclier resplendissait de mille feux et son revêtement inédit permettrait de distinguer l’ennemi du royaume d’un ermite à la longue barbe aux intentions pures.
Après avoir conclu un arrangement avec le seigneur de Ponthus, la reine s’en retourna dans son palais et envoya des émissaires dans tout le royaume afin qu’on lui envoie la fine fleur des guerriers. Elle exigeait notamment qu’ils soient également de fins lettrés car ce n’est pas de brutes sanguinaires dont elle avait besoin mais de nobles chevaliers capables de les combattre.
Un afflux de jeunes gens, beaux, habiles à manier les armes et compétents dans l’art des Belles Lettres renouvela les environs du palais.
Prévoyant ces arrivées, la reine avait fait construire des pavillons dotés d’écuries car la reconquête des terres perdues du royaume se ferait à cheval.
Des maîtres d’armes furent réquisitionnés et donnèrent des leçons à en perdre le souffle.
Enfin lorsque tout fut en bonne voie, la reine commanda à tous les forgerons du royaume des boucliers sur le modèle exclusif du sien et ce ne fut que martèlement, souffle de forge et coulées de lave dans un bain de roses d’orient, l’ingrédient magique qui opèrerait à la manière du bouclier de la Méduse.
Les colonnes se déployèrent alors dans tout le territoire et dès qu’un individu portant longue barbe ou arborant un regard et un sourire fuyants était en vue, l’un des soldats de la reine, après l’avoir distrait en fichant une lance au-dessus de sa tête, lui infligeait le test du bouclier. L’un de ces misérables fut vite démasqué car une nichée de vipères et de reptiles répugnants sortit de la barbe de l’ennemi du royaume. L’agresseur en devenir fut mis en cage sans ménagement, un barbier se faisant fort de raser impérativement tout système pileux en développement.
Quant aux personnes qui arboraient la barbe par coquetterie ou souci d’allégeance à Dieu, elles n’eurent aucun souci et passèrent leur chemin avec une pièce d’or octroyée par la reine pour récompenser leur loyauté.
Cette épreuve dura plusieurs mois et fut si efficace que les derniers ennemis du royaume préférèrent s’enfuir plutôt que de terminer leurs jours dans une cage.
Les félons étaient nombreux c’est pourquoi la reine, la mort dans l’âme, prit la décision de mettre fin à leurs jours car il restait à chacun, au coin de l’œil, la brillance du fanatisme.
Heureuse d’avoir rendu à son royaume toute sa beauté et son éclat, la reine rentra dans son palais et avant de se séparer de ses loyaux chevaliers, elle ordonna de grandes fêtes qui restèrent dans les mémoires comme les signes avant-coureurs de belles noces. De nombreux couples se formèrent en effet à cette occasion et ce furent des noces qui renouvelèrent la génération Brocéliande aux couleurs de la reine !     

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