mardi 17 février 2015

La Princesse Nue





Il était une fois une princesse qui ne supportait pas le contact des vêtements. C’est pourquoi elle se promenait presque nue dans son palais, vêtue seulement pour la décence la plus élémentaire, de voiles légers brodés avec magnificence. Les fleurs, roses, bleuets et coquelicots lui servaient de parures. Lorsqu’elle marchait dans les jardins du palais, elle était si légère que l’on croyait voir l’incarnation du Printemps.
Sa garde royale surveillait ses allées et venues avec la discrétion nécessaire.
Or un jour, des flocons de neige jamais vue jusqu’alors, s’abattirent sur le royaume et la princesse se résigna à porter des vêtements chauds. Bottes, manteau de fourrure et toque assortie, sans oublier des gants fourrés complétèrent sa tenue pour mettre le nez dehors.
On fit venir des traineaux et des chiens car la neige semblait s’être installée à demeure.
La princesse envoya des émissaires afin de connaître les raisons de ce revirement atmosphérique. De son côté, elle mena des investigations, s’enfonçant dans les forêts qu’elle avait connues pleines de charmes et de chants d’oiseaux.
Avisant une chaumière qu’elle ne connaissait pas, elle s’y arrêta et demanda l’hospitalité. Une jeune femme élégante la pria de s’installer dans son patio où les éléments fleuris étaient abondants autour d’une fontaine bleue et d’orangers.
Ravie de retrouver un décor qui lui était familier, la princesse Aglaé but avec plaisir une tasse de thé et dégusta de savoureux petits cakes qui lui rappelaient des contes racontés jadis par sa nourrice. Elle fut à peine surprise de découvrir dans l’une de ces délicieuses pâtisseries une chevalière arborant une couronne royale et un prénom, Ivan.
Elle  trouva cet indice de bon augure et écouta les propos tenus par son hôtesse avec beaucoup d’intérêt.
« Princesse, je suis la fée de la forêt et je suis heureuse que le hasard et ta bonne étoile t’aient conduite jusqu’à moi. Je sais ce qui te tourmente. Rassure-toi, cette neige ne sera pas éternelle. Elle durera jusqu’à ce qu’un bel amour éclose en ton cœur. Il en est ainsi pour les princesses dont la destinée est hors du commun. Avant de connaître l’amour, elles doivent traverser des épreuves. Cet ensevelissement de ton royaume sous une couche d’or blanc est la première étape de ta métamorphose. Sache qu’il n’est ni courant, ni souhaitable qu’une princesse se promène demi nue dans son royaume. C’est pourquoi il te faudra renaître avec l’apparat nécessaire à ton rang. La neige est arrivée à point pour t’obliger à porter des vêtements. Reconnais que tes robes de laine et tes fourrures t’ont semblé agréables à porter. Il en sera de même avec des tenues légères, en harmonie avec le soleil et les fleurs. Je t’invite à te constituer un trousseau qui respecte toute la gamme des saisons. Que ces voiles brodés dont tu aimais te parer servent désormais à l’embellissement des pièces d’apparat de ton palais. À présent je te souhaite un bon retour en ta demeure. Garde cette chevalière en gage d’amour ».
Aglaé s’inclina et remercia son hôtesse puis elle revint au palais, serrant la précieuse chevalière contre son cœur.
Les émissaires revinrent avec des indices pauvres. Apparemment, leur royaume était le seul à subir un tel enneigement.
Le prince d’un royaume lointain dont le château était impressionnant par ses dorures et son mobilier majestueux offrait à la princesse une invitation à participer à un bal. Un collier d’émeraudes et plusieurs parures en diamants étaient joints à l’invitation, ce qui incita la princesse à participer à ces festivités.
Elle fit venir d’excellents couturiers, leur commandant des robes de bal et des tenues de voyage assorties de manteaux, capes et accessoires divers.
Ravis de participer à un tel événement, les maîtres de haute couture qui avaient tous obtenu le dé d’or, crayonnèrent de merveilleuses toilettes pour les soumettre à la princesse.
Il se murmurait dans le royaume que la princesse avait enfin retrouvé la raison et qu’elle se décidait à se vêtir, même par beau temps.
Des chansons et des poèmes à sa gloire circulèrent, ce qui fouetta l’imagination créatrice des grands couturiers.
Après un choix, difficile et judicieux dans la mesure où chaque créateur se trouvait représenté, on appela à la rescousse petites mains et mannequins pour concrétiser les toilettes.
Joailliers et parfumeurs entrèrent dans la danse et en grand secret, la princesse commanda à un diamantaire un tour de cou où le blason reproduisait celui qui ornait la chevalière. Un pendentif en forme de cœur était destiné à mettre en valeur la magnifique poitrine de la princesse.
Les tissus rivalisaient de beauté. Satins, soies diverses, lin brodé et dentelles choisies soulignaient le charme des modèles, si créatifs que des oiseaux voulurent construire un nid dans la profusion de volants d’organdi essayés par la jeune femme.
Elle désirait tant faire sensation le jour du bal qu’elle en oublia sa phobie pour les vêtements et elle ne s’aperçut de la disparition de la neige que lorsque les toilettes furent prêtes.
Un carrosse d’or, absolument somptueux dont l’habitacle était de velours rose et garni de  coussins moelleux, conduits par six chevaux fringants au rythme impulsé par deux cochers, fit sensation à son arrivée au pied des marches. Valets et suivantes en sortirent, munis de paquets cadeaux tout aussi originaux et précieux les uns que les autres.
Une lettre attribuée à la plus belle princesse du monde accompagnait ces merveilles. Aglaé s’en saisit et en lut le contenu dans sa chambre, rosissant de plaisir.
 «  Ô toi, belle entre les belles, j’espère que mon apparence et mes yeux fauves te séduiront. Sache que je t’attends depuis tant de nuits que je meurs littéralement d’amour. J’ai hâte de sentir ton corps nu entre mes bras et de t’impulser un désir effréné. Mais ne crains rien, mon amour, ma beauté, j’attendrai le temps nécessaire avant d’arriver à ce point d’orgue final. Je te conduirai sur la piste de bal en cavalier courtois et saurai me tenir comme il se doit. À bientôt, mon amour, ma princesse, mon amante aux yeux de myosotis.
J’embrasse tes cheveux et tes chevilles. Je suis tout à toi. Ton prince d’amour ».
La princesse lut et relut cette lettre pleine de passion et il lui vint parfois l’idée qu’elle ne lui était pas destinée, tant la passion était une inconnue.
Avait-elle raison de se jeter ainsi dans la gueule du loup ? Ce prince lui était-il vraiment destiné ? Il y avait dans ces lignes quelque chose qui était proche de la démence. Elle se souvint des leçons de son professeur de littérature.
Des Précieux avaient imaginé une Carte de Tendre où l’on apprenait aux amants à se méfier d’une mer des passions, dangereuse parce qu’on ne savait pas comment en sortir. De plus, il y avait des hameaux où étaient mentionnés billets doux, billets galants, amour sur estime et amour sur inclination. On enseignait la méfiance des amours folles et débridées.
Cette lettre n’est-elle pas plus extravagante encore que ma phobie des vêtements se demanda-t-elle et pour se donner raison, elle se dit qu’après tout, une semi nudité était en harmonie avec la nature.
Les lis des champs ne sont pas habillés et pourtant on les aime pour leur pureté, précisa-t-elle à un débateur imaginaire.
Néanmoins, elle avait promis de se vêtir et elle ne renierait pas son serment. Cela rassurait ses sujets. Fort bien, elle accepterait de se plier aux coutumes.et tâcherait de trouver un prince digne de régner à ses côtés.
Afin de ne pas connaître de déconvenue avec cet inconnu aux écrits osés, elle demanda à l’officier de la garde royale de choisir quelques hommes sûrs. « Qu’ils surveillent la situation avec discrétion » ordonna-t-elle et le commandant l’assura de sa parfaite fidélité, la félicitant de prendre cette salutaire initiative. Il eut l’idée de constituer une suite pour la princesse, travestis en mondains. « Nul ne verra le poignard qu’ils dissimuleront dans leurs manches à l’imitation des magiciens. D’ailleurs, si vous me le permettez, Princesse, je participerai à l’aventure sous l’habit de votre majordome. Ceci me donnera l’obligation de ne jamais vous quitter, à moins que vous ne m’en donniez l’ordre ».
Ainsi fut fait. La princesse prit place dans le carrosse en compagnie de son fidèle majordome et une calèche suivit à bonne distance, emportant des jeunes gens dont le désir de se distraire était évident.
Lorsqu’ils arrivèrent au bas des marches du château, Aglaé ressentit une étrange émotion. Elle avait l’impression d’avoir connu ces lieux et cependant tout était si différent de son palais ! La façade du palais en marbre rose, reflétait les différentes phases solaires, projetant parfois d’éblouissantes lueurs.
Le château, d’allure gothique et majestueuse, était empreint de mystère et rien ne semblait relever du divertissement et de la beauté bleue promise dans la lettre de l’amant éperdu.
Cependant de jolies dames d’honneur vinrent à la rencontre de la princesse et l’invitèrent à prendre connaissance de la suite qui lui était destinée avant de participer au bal.
Son majordome fut logé dans une chambre attenante et géra la réception des bagages.
Pendant ce temps, les pseudo-mondains fouillaient les jardins. Rien d’anormal n’ayant été décelé, ils se présentèrent comme les amis de la princesse et après avoir exhibé une bague portant ses armoiries, ils  furent invités à prendre quelques rafraîchissements en attendant le début des festivités. Prudents, ils ne prirent ni boisson, ni encas, s’en débarrassant habilement, afin de n’encourir aucun danger. Chacun d’eux avait sa propre fiole d’eau aromatisée à la fleur d’oranger, la boisson que l’on servait le plus souvent au palais.
Enfin l’heure choisie pour le bal retentit, égrenée par une horloge sculptée dans un bois précieux.
Les invités entrèrent un à un, élégants et d’allure aimable.
Il y avait de très jolies femmes qui arboraient des toilettes absolument charmantes ou fastueuses selon leur rang. Mais lorsque la princesse Aglaé apparut dans sa toilette si vaporeuse qu’elle semblait avoir été empruntée à un nuage, coiffée de façon royale, il y eut un murmure d’extase tant sa beauté éclipsait celle de toutes les femmes présentes. Le chef d’orchestre donna l’impulsion à une valse et un homme au charme incontestable s’inclina face à la princesse, une main sur le cœur, l’invitant à être sa cavalière. Aglaé se fia à sa belle physionomie et à son allure distinguée et le couple dansa avec beaucoup de grâce, bientôt suivi par d’autres couples, ravis de participer à un bal de haute tenue. Les danses s’enchainèrent. Aglaé connaissait un succès incontestable mais curieusement elle était un peu déçue car aucun danseur ne s’était exprimé en utilisant les mots fous de la lettre. Elle se disait cependant que l’auteur de la lettre attendrait un moment propice pour s’épancher à nouveau et elle arborait fièrement un sourire princier.
De valses vives en valses langoureuses, la soirée allait bon train et des couples s’éclipsaient discrètement dans les jardins afin de se livrer à un marivaudage de bon aloi.
La princesse Aglaé restait constante, espérant toujours voir venir le prince dont elle portait les armoiries et soudain des murmures jaillirent comme des perles, l’isolant de la salle de bal à la manière d’un cercle magique. « Printemps de mes jours, tu es venue à moi et j’ai hâte de te serrer dans mes bras comme une fleur immortelle. Tu es plus belle encore que dans mes rêves les plus fous et mes armoiries n’ont jamais été portées avec autant de brillance et de fierté. Tu es le bijou de mon cœur, l’éternelle constance de ma gloire et je jure d’être l’écrin valeureux de la beauté à nulle autre pareille ».
Un loup noir sur ses jolis yeux, la princesse valsa de manière folle dans les bras d’un prince qui lui prodiguait des mots d’amour au rythme d’une musique qui devint par la suite, celle de la passion la plus totale. Elle fut ensuite emportée dans une chambre, dénudée et glissée dans une enveloppe cotonneuse qui fleurait bon la lavande et le réséda. « Qui êtes-vous, Amour » ? eut elle le temps de dire et elle s’abandonna à la fougue du prince.
Le lendemain, elle eut la surprise d’être servie au lit par son majordome. Un peu gênée de la situation, elle prit la peine de le rassurer et de le prier de repartir au palais avec son escorte car manifestement elle avait trouvé le bonheur. Le majordome s’inclina et lui signifia que ses désirs étaient des ordres et il se retira dignement.
Le lendemain et les jours suivants, la princesse attendit en vain la venue de son bel amant. Elle réalisa d’ailleurs qu’elle ne l’avait pas vu à proprement parler et qu’elle avait succombé à une folle passion sans la moindre retenue. Qu’elle était loin la Carte du Tendre ! Ne se trouvait-elle pas dans ces mers dangereuses qu’il fallait à tout prix éviter ?
Les jours passèrent sans que l’amant fougueux ne revienne ! La princesse prenait des bains parfumés et attachait beaucoup d’importance à sa toilette. Elle était épanouie dans tous les sens du terme et elle avait l’impression d’être une pivoine éclatant de bonheur. Bientôt elle ressentit une certaine langueur et elle se réfugia chaque après-midi dans la roseraie, suivie par ses servantes qui n’avaient de cesse d’aller au-delà de ses désirs.
Crèmes à la fleur d’oranger, tisanes d’hibiscus ou de menthe étaient servies sur une table de rotin dans un entrelacs de liserons.
Elle eut bientôt la certitude d’attendre la venue d’un petit prince ou d’une princesse, ce que lui confirma le médecin du château. Oscillant entre le bonheur et la déception d’être sans nouvelle de l’heureux père, elle fit préparer une chambre pour le nourrisson et se mit à coudre, broder et tricoter une layette princière. Les dames d’atour firent de même et des piles de brassières, chaussons, tenues d’intérieur, promenades et grenouillères s’empilèrent dans les armoires colorées de la chambre de l’enfant.
Le grand jour arriva et la princesse mit au monde deux beaux enfants, une petite Amandine et un ravissant prince Amant. Les journées passèrent à nouveau, rythmées par les soins que nécessitaient les vigoureux bébés, si charmants. Ils avaient en commun de magnifiques yeux étirés en amande, d’un gris bleuté constellé de points d’or. Lorsqu’ils eurent deux ans, leur mère décida de rendre visite à tous les êtres de son royaume qui lui étaient chers et après avoir confié les deux enfants à ses dames d’atour, elle s’en fut, sous bonne escorte, en empruntant à nouveau le carrosse d’or.
Alors qu’elle s’apprêtait à franchir une rivière, elle aperçut un gigantesque loup dont les grands yeux fauves lui rappelèrent étrangement les yeux si étonnants de ses enfants. Elle descendit du carrosse, sans crainte et comme dans un conte, le loup l’enveloppa de sa chaude fourrure et il lui sembla revivre la nuit d’amour qui était à l’origine de la naissance de ses enfants chéris.
Circonstance troublante ! Elle fut transportée sur l’autre rive et soudain elle croula littéralement sous le poids de baisers passionnés.
Elle défaillit et lorsqu’elle reprit ses esprits, elle se trouvait dans le carrosse auprès d’un beau prince dont les yeux étaient en tous points semblables à ceux de ses enfants ! « Douce Aimée, murmura la voix qui était celle du bal et de la passion dévorante, vous avez été mienne sans me voir puis vous avez accepté l’enchantement que j’ai subi, me donnant l’apparence d’un loup. Grâce à cet amour, vous avez vaincu le sortilège et désormais je serai toujours à vos côtés sous l’enveloppe du prince de vos rêves » et un baiser voluptueux mit un terme à cette courte déclaration.
C’est ainsi que s’achève l’histoire de la Princesse Nue et que commence l’idylle d’un couple, le prince Ivan et la princesse Aglaé ainsi que l’épanouissement de leurs enfants, Amandine et Amant le si bien nommé car il était l’exacte réplique de son père !

2 commentaires:

  1. Magnifique, romantique, sublime ...
    Quel talent ma chérie
    Bisous
    Annie

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  2. J'ai eu l'immense plaisir d'écrire un conte pour servir d'écrin à ton magnifique tableau !Je t'embrasse chaleureusement
    Ton amie de toujours
    Marguerite-Marie

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