jeudi 13 août 2015

Le buffle bleu





Au sein d’une forêt que l’on disait impénétrable et au cœur d’un palais inconnus de tous, grandissait en sagesse et en beauté une princesse qui répondait au joli nom celtique de Nolwenn. Elle aimait chanter et lorsque ses notes s’élevaient vers le ciel, des trouées magiques s’opéraient dans les frondaisons et des nuées d’oiseaux accompagnaient son chant avec amour.
 Sa réputation allait en grandissant et c’est ainsi qu’un prince asiatique eut vent de cette merveilleuse créature, qu’il en rêva et qu’il décida d’aller à sa rencontre.
On essaya de le retenir car chacun imaginait qu’un sortilège accompagnait ce renom mais tous les efforts furent vains. Le prince Lys-Azur prépara de magnifiques cadeaux destinés à la princesse. Or, jade, vases en porcelaine fine et services somptueux alternaient avec des balles de soie et des robes de rêve. Enfin le grand jour arriva et le prince escorté par les meilleurs sabreurs du royaume s’en fut vers son destin.
Loin de se douter qu’elle faisait l’objet de multiples arrentions, la princesse Nolwenn se rendait régulièrement à la fontaine sacrée où la fée Viviane et l’enchanteur Merlin s’étaient rencontrés et elle chantait un hymne à  l’amour de sa composition en espérant qu’un jour il viendrait à sa cour, son bel inconnu, son Tristan, son Lancelot qu’elle espérait doté d’un avenir radieux contrairement à ces héros mythiques.
De retour au palais, elle réclamait écritoire, pinceaux, fusains et plumes pour illustrer un manuscrit personnel d’odes à l’aimé et de croquis où se dessinait une silhouette élégante, cavalière et grande par un physique avantageux et de beaux yeux où flottaient lotus et nuages.
Des paysages harmonieux jaillissaient également de sa plume et de ses pinceaux et elle créait des jardins fabuleux où l’aimé pourrait la découvrir au détour d’une allée d’ifs précieusement taillés.
On fit venir d’Orient des jasmins, des lys et des agrumes, orangers, citronniers, cédratiers où apparaissait la main de Bouddha et Nolwenn  prit un plaisir immense à participer aux travaux de jardinage. On créa aussi une roseraie d’une grande beauté. La princesse y accédait entre les rangées d’hortensias qui se plaisaient beaucoup en sa terre celtique. Un pavillon de bois et de verre surgissait parmi les biches et elle aimait y faire halte afin de réaliser des croquis sur le vif.
En outre, la princesse avait à cœur de se rendre dans les gigantesques cuisines du palais où étincelaient des ustensiles en cuivre et en argent afin de parfaire sa pratique de plats traditionnels, le kig-ha-fars, la cotriade, le homard à l’armoricaine, les coquilles Saint-Jacques, des plats d’agneau ou de poulets et de merveilleux desserts, le kouign-amann, des gâteaux de riz, des gâteaux aux pommes et mille et une merveilles, avec des variantes.
Son plat préféré avait le charme de la simplicité, il s’agissait de crabes chauds. Quant au dessert, elle optait souvent pour un gâteau de riz accompagné de crème anglaise. Cependant sa nourrice avait coutume de lui dire que si l’on attirait l’attention d’un prince par sa beauté, on le retenait par la confection de plats délicats et renouvelés. C’est pourquoi elle s’adonnait à la pratique culinaire avec autant d’enthousiasme que pour ses travaux artistiques.
De son côté, cheveux au vent, le prince Lys-Azur chevauchait en rêvant. Néanmoins il prit la sage décision de scinder son escorte en trois, la sienne consistant en la plus légère avec juste quelques cadeaux de grand prix.
On redoutait souvent dans les terres inconnues des brigands assoiffés d’or et d’argent ou tout simplement des pauvres devenus bandits pour ne pas mourir avec leurs familles dans le dénuement.
Les attaques eurent bien lieu et il y eut des morts de part et d’autre. Quelques bandits parvinrent à s’enfuir avec un butin prodigieux mais ils n’en bénéficièrent pas longtemps car ils s’entretuèrent pour s’emparer du trésor. Des habitants découvrirent les cadavres et des cadeaux somptueux dont ils ne soupçonnaient pas l’existence. Craignant des représailles, ils suivirent les traces des voleurs et arrivèrent à l’escorte qui bivouaquait au clair de lune. Le prince Lys-Azur fut sensible à leur honnêteté et il les récompensa en distribuant équitablement quelques présents. Il les invita à passer la nuit auprès d’eux afin de ne pas succomber à une nouvelle attaque.
Le lendemain, ces braves gens partirent, nantis d’objets d’art qui les aideraient à affronter les intempéries et aléas de la vie.
Une jeune paysanne, Fleur de Marie plut beaucoup au maître d’armes de l’escorte. Il lui promit de venir la chercher pour l’épouser à leur retour et en guise de gage, il lui offrit une chevalière qui ornait le berceau du premier enfant de sa famille. Rougissant à l’évocation de ces éléments concrets, la jeune paysanne s’en revint au village, le cœur plein d’amour car cet homme au beau visage ne lui était pas indifférent.
Cet épisode digne des romans d’amour plut au prince car il y voyait les prémices de la passion qui le dévorait pour une belle inconnue. Il ajouta un ballot de soie à la chevalière et recommanda à la jeune fille de se constituer un trousseau qui mettrait sa beauté en valeur. « Vous êtes si belle lui dit-il que si mon cœur n’était pas pris ailleurs, je vous aurais fait un brin de cour ». Enfin après un solide petit déjeuner, la troupe se remit à cheval pour la conquête de la princesse lointaine. La nuit suivante, après un bivouac enchanteur où s’exprima un poète avec lyrisme, le prince Lys-Azur fut réveillé par une bulle de clarté lunaire. Intrigué, il en suivit le parcours et se retrouva loin de son camp en pleine nature où chaque élément paraissait étrange. Près d’un étang, un troupeau de buffles paissait avec sérénité.
Une jeune fille brune aux longs cheveux étoilés de diamants roses caressait celui qui semblait être le chef du troupeau Lys-Azur s’approcha, subjugué par ce tableau charmant et se sentit happé par les cheveux par une force surnaturelle.
Au petit matin, on s’aperçut avec effroi de la disparition du prince. Le maître d’armes prit la tête des recherches et ils arrivent enfin auprès du lac mystérieux. Un buffle bleu semblait les attendre et les suivit docilement. Le chef de l’escorte trouva un indice sur le terrain. Il s’agissait d’un collier de perles de grande valeur que le prince destinait à la princesse de ses rêves et qu’il gardait soigneusement sur lui. Il avait certainement fait une mauvaise rencontre à moins qu’un sortilège ne se soit déclenché.
Le maître d’armes opta pour la deuxième hypothèse. La présence du buffle bleu dont les yeux rappelaient le beau regard du prince lui semblait évident. C’est pourquoi il prit la décision de regagner le campement, d’attendre le lendemain matin pour reprendre la route qui menait à la forêt imprenable. Personne ne s’étonna du fait que le buffle bleu les avait suivis jusqu’au bivouac car tous pensaient que cet animal fabuleux était l’une des clefs de l’énigme de la disparition du prince et chacun s’accoutuma à sa présence, étrangement réconfortante.
Lors de la traversée de territoires étrangers, il était l’objet de l’affection des habitants et l’escorte bénéficiait de cadeaux apportés spontanément à cet animal qui semblait être un signe bienveillant des dieux. Corbeilles de semoule cuisinée, fruits, cotonnades et lainages assortis à des bijoux artisanaux se succédaient à la grande joie des guerriers qui voyaient s’accroître les dons destinés à la princesse. Par ailleurs, la nourriture leur était assurée et il suffisait de quelques ingrédients supplémentaires pour que les repas soient fournis et vitaminés.
Enfin la forêt imprenable fut en vue. L’escorte du prince retrouva les deux colonnes envoyées en rangs dispersés et  donna des explications sur l’étrange disparition du prince. Le buffle eut à nouveau sa part de succès.
Il fut décidé que l’on partirait, hache à la main, le lendemain, à la création d’un chemin qui mènerait au palais de la princesse. Tous pensèrent que le buffle leur serait précieux et qu’il servirait à ouvrir le chemin.
Aux abords de la forêt, une quantité d’oiseaux leur tint lieu d’escorte. Le buffle avait fière allure et lorsque les défricheurs se mirent en devoir de se frayer un sentier, il les accompagna, prenant bientôt les devants.
La forêt était vraiment très épaisse et au fur et à mesure que la troupe progressait, les arbres repoussaient à une vitesse vertigineuse. Chacun pensait sans oser le dire que s’ils avaient affaire à une forteresse invincible, il leur serait impossible de faire demi-tour.
Enfin l’horizon s’éclaircit, une pièce d’eau apparut et au loin, un château de bel aspect se détacha d’une muraille de nuages bleus.
Sans hésiter, le buffle traversa la pièce d’eau à la nage tandis que les hommes coupaient du bois pour construire des radeaux. Ces travaux allèrent tambour battant et chacun eut le loisir d’apprécier les sculptures en bois de rose d’une lourde porte aux ferrures impressionnantes.
La porte s’ouvrit et une jeune beauté leur parla ainsi :
« Il y a longtemps que je vous attends car j’ai entendu parler de vous par les messages des oiseaux. Mais où est votre prince ? » Un silence se fit mais le buffle bleu que tout le monde avait oublié flotta un instant dans l’air léger et reprit les traits et la stature du prince Lys-Azur.
« Me voici, princesse ! J’ai été métamorphosé en buffle bleu en chemin mais mon maître d’armes a eu la présence d’esprit de penser que j’avais été victime d’un sortilège en ramassant le collier de perles que je te destinais en cadeau de demande de fiançailles ».
Le maître d’armes s’inclina aux côtés de son prince et lui remit le collier qui était absolument merveilleux.
La princesse le reçut avec modestie et bonheur puis il invita le prince et son escorte princière à la suivre dans la salle d’apparat du château.
Les hommes d’armes seraient logés dans les dépendances conçues à cet effet et on leur servirait de bons repas dans la cour du château, sous un dais fleurdelisé. La salle d’apparat sembla au prince et à sa cour de belle facture.
Une grande table était jonchée de plats délicats et de breuvages délicieux et chacun fit honneur à ce banquet.
Puis des dames d’atour conduisirent les gentilshommes dans leurs appartements et le prince put enfin s’entretenir en tête à tête avec la belle princesse de ses rêves, Nolwenn aux yeux d’azur. « Voici notre trait d’union, cher prince, cet azur qui est une partie de votre nom et la couleur de mes yeux à ce que disent les poètes de mon domaine. Mais savez-vous pourquoi vous avez été métamorphosé en buffle bleu ?
Mais pour pouvoir protéger mon escorte et passer inaperçu en traversant les contrées parfois hostiles à notre égard. Qui aurait pu deviner que le buffle bleu cachait un prince ? ».
Heureux de constater que son prince était aussi intelligent que beau la princesse Nolwenn laissa délicatement sa tête tomber sur l’épaule de Lys-Azur et bientôt la nuit les enveloppa, pour les laisser vivre les prémices d’un bel amour.

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