vendredi 5 février 2016

Le monastère des brumes




En revenant d'orient, le chevalier Enguerrand d' Audencourt, le corps strié de blessures dont les cicatrices formaient une étrange carte, fut subjugué par un monastère abandonné.
Tel Saint François d' Assise, il entra dans cette bâtisse oubliée de tous, mis à part les oiseaux et s'assit sur un banc, face à l'autel.
Dans ce lieu isolé, il parvint à faire taire le tumulte qui régnait en son cœur.
Heureux de cette quiétude, il songea à écrire quelques bribes de sa vie.
Il nota les noms de tous ses compagnons d'armes tués par le sabre ou la masse. Puis il entreprit de raconter la prise de villes mais la plume lui échappa des mains car le souvenir du regard suppliant de femmes et d'enfants lui était intolérable. Il enferma l'écritoire dans une armoire qui contenait les statues brisées des saints et des personnages de la liturgie.
Il dormit à même le sol et lorsqu'il s'éveilla, il se sentit apaisé.
Il broya des pierres colorées, fabriqua de l'enduit et des peintures et badigeonna les murs noircis du monastère.
Une œuvre magique jaillit de ses mains.
Il se débarrassa de son armure et de ses vêtements de croisé puis se vêtit d'une robe de bure après l'avoir soigneusement lavée dans le ruisseau.
Avec l'aide de son cheval et d'instruments trouvés dans un appentis, il façonna un jardin où il sema et enfouit plantes et noyaux qu'il avait rapportés pour son domaine et sa femme, la belle Aude à la bouche vermeille.
Ce souvenir faillit le détourner de sa tâche car pour la première fois, il se souvint de cette épouse qu'il avait pourtant follement aimée.
La guerre avait tout balayé et il ne lui restait qu'un goût de cendres à l'évocation de ces amours.
Il lui semblait qu'en créant un jardin digne des anges, il rachèterait un à un ses péchés, les viols, les rapines et les massacres sauvages, le sang appelant toujours le sang, dans un torrent de pourpre.
Et lorsque les fleurs jetèrent au ciel leur chant d'amour, Enguerrand d' Audencourt rendit à Dieu son âme en murmurant le nom de celle qu'il avait enfin retrouvée, avec son cœur, avec son âme, loin des terribles combats qui portaient la griffe du Diable.
La belle Aude vit apparaître sur le muret du donjon un oiseau fabuleux, mi- colombe  mi- dragon et elle sut alors que son mari, son aimé avait enfin trouvé la voie azurée d'un salut mitigé et elle s'endormit enfin en rêvant qu'ils se promenaient, main dans la main, dans un jardin enchanté.

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